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03 juillet, 2017

Piloter ses charges et sa stratégie de fertilisation

Sur ce blog, nous abordons souvent le sujet de la fertilisation d’un point de vue agronomique, notre domaine d’expertise. Cette fois-ci, nous avons organisé un interview avec Jean-Pierre Moreau, expert en conseils et stratégies agricoles chez Altéor Stratégie, afin de mieux comprendre les enjeux technico-économique de la fertilisation. Les éléments agronomiques et technico-économique sont les fondements du raisonnement de la stratégie de fertilisation.


Un agriculteur dans un champ tient un épi de maïs
Un agriculteur dans un champ tient un épi de maïs

Quels sont les grands points à considérer lorsqu’un agriculteur met en place sa stratégie d’intrants pour révéler le potentiel d’une culture ?

"Il y en effet plusieurs choses.

Une approche de l’humain : C’est tout d’abord fixer sa stratégie et ses objectifs de chef d’entreprise. Au-delà de tous les conseils que l’agriculteur peut recevoir, c’est lui en tant que gérant qui connaît la direction dans laquelle il souhaite aller, et de quelle manière il souhaite orienter son système de production. Chacun ici possède sa vision. 

Une approche économique : De ce point de vue, les critères à considérer sont le rapport entre la charge injectée et les produits dégagés : tout dépend du contexte interne de l’exploitation (potentiel de terre, l’équipement, la performance technique, main d’œuvre disponible…), et des choix faits en termes d’intrants.

Pour que le ratio soit le meilleur possible, tout repose sur la capacité de l’exploitant à juger de la qualité de charge injectée sur un moyen de production, et quel effet sur le produit dégagé."

Comment un exploitant peut-il contrôler et ajuster cette stratégie en cours de culture ?

"Tout dépend des choix qui sont faits au cours de l’année. Au démarrage, il y a un système cultural identifié, avec des choix d’intrants qui sont faits, et une technicité identifiée.

L’exploitant doit forcément prendre en considération des possibles corrections de sa stratégie initiale. De manière générale, les exploitants se reposent sur leurs expériences partagées, sur des conseils spécialisés ou des groupes de travail organisés dans leur secteur.

Il existe cependant des outils de pilotage qui se base sur des données des années passées et des anticipations de résultats. Mais il n’y a pas encore de référentiel technico-économique qui permet d’avoir une aide à la décision très précise, et pour une très bonne raison : même si tous les choix faits ont été les bons, un aléa climatique peut venir complètement changer la donne."

La marge nette par hectare est-elle suffisante pour calculer le retour sur investissement ?

"C’est un premier niveau d’analyse, et cela reste essentiel. C’est une approche très technique. Toute chose étant égale par ailleurs, plus la marge brute sera élevée, plus le revenu de l’agriculteur sera élevé."

Est-il utile pour les agriculteurs de comparer leur marge brute ? 

"Pour que la comparaison soit vraiment pertinente, il faut qu’elle se fasse à système de production équivalent (contexte interne et externe, investissement et charges de structure identiques, MSA identique, entretien identique…) C’est une approche purement économique et mathématique, sans juger des choix faits par l’exploitant.

Il y a tout de même un intérêt à cette comparaison, cela permet de se comparer sur l’efficacité technique de la charge injectée. Par exemple, un agriculteur peut se permettre d’injecter beaucoup de charges variables, si et seulement si le produit dégagé est lui aussi beaucoup plus élevé. C’est mathématique, encore une fois.

Cette comparaison est utile pour voir là où il y a possiblement des points d’amélioration, mais les exploitants ne doivent pas s’arrêter là : Le chiffre d’affaire global d’un chef d’entreprise se fait sur la rentabilité des charges injectées dans la marge brute, et sur les choix qui sont faits au niveau des charges de structure. Il faut que ces charges soient en adéquation avec les moyens de production de l’exploitant."

Quels conseils donneriez-vous aux agriculteurs pour établir une stratégie d’intrant ?

"Se donner des objectifs ! Il faut que les agriculteurs raisonnent à l’équilibre, comment vont ils utiliser leurs moyens de production pour couvrir leurs charges et leur rémunération. Ce n’est pas évident, mais les exploitants se doivent d’établir des seuils à partir desquels leur activité est rentable, afin de piloter leur activité. 

Il est primordial d’établir des objectifs avant de faire des choix pour établir son itinéraire cultural, sinon ces partis pris risquent de ne pas être cohérents. Après il y a toujours le contexte conjoncturel qui rentre en jeu, mais cela reste la manière la plus fiable de piloter efficacement son activité."

Est-ce qu’établir des objectifs est une pratique répandue ?

"C’est implicite chez une grande majorité des exploitants, personne ne fonctionne à l’aveugle. Nous faisons face à un double problème aujourd’hui :

  • Nous ne fonctionnons pas, ou peu, avec les indicateurs que nous avons à notre disposition
  • Il y a énormément d’indicateurs, et peu organisés dans l’intérêt du revenu de l’exploitant.

Vous voyez le quiproquo dans lequel nous sommes…

Pour être honnête, les agriculteurs ne voient plus très clair dans tout cela, et cela se comprend très bien, il y a trop d’indicateurs. Chacun va de ses conseils avisés, mais tout est basé sur le jugement : « Le coût de production est trop élevé », « la teneur en protéines est trop faible »… et finalement, on ne s’en sert pas assez pour piloter des choix."

"Un indicateur n’a d’intérêt que s’il induit des actions par la suite en lien avec des objectifs prédeterminés du chef d’entreprise."

Donc nous faisons face à une mauvaise utilisation de toute les données à disposition, en somme.

"Exactement, mais se n’est pas simple à assimiler car c’est une culture économique, une culture de chef d’entreprise. Mais la faute nous revient également (partenaires, fournisseurs,…), nous avons voulu instaurer cette utilisation des indicateurs, et aujourd’hui nous n’arrivons pas à vulgariser cette utilisation. C’est un de nos principaux enjeux d’ailleurs.

Donc en résumé la tendance est bonne, avec la digitalisation et la compréhension des systèmes culturaux, nous serons en France, je l’espère, très bien placé dans cette nouvelle façon de piloter son exploitation."

C’est une grosse transformation du métier d’agriculteur qui est en train de s’opérer, n’y a-t-il pas un frein à ce niveau ?

"Si tout à fait, il y a aussi la pression sociétale qui joue. Auparavant, dans une carrière d’agriculteur il était nécessaire de changer sa vision 1 à 2 fois ; aujourd’hui, le monde agricole bouge à une telle vitesse, les chefs d’entreprise ont besoin de s’adapter chaque année, et répercuter cela dans leur stratégie. 

Avec les contraintes environnementales qui se manifestent, cette tendance n’a pas vocation à changer dans les années futures. Cela peut donner l’impression que l’agriculture se déshumanise, mais je préfère parler de professionnalisation de la filière."

Une dernière question liée à la précédente, faut-il savoir se remettre en question ?

"Bien sur, il faut toujours savoir se remettre en cause, s’adapter, tester. Aujourd’hui ce n’est plus une option, c’est nécessaire de revoir ses choix en fonction des objectifs et du contexte de l’exploitation, afin de tester des nouvelles solutions en lien avec son projet et sa vision.  

Si on se concentre sur les fertilisants, ils rentrent évidemment dans cette logique d’adaptation, mais il ne faut pas confondre optimisation avec diminution. Raisonner n’est pas forcément diminuer.

Quelle que soit la vision du chef d’entreprise, tous systèmes confondus, l’important c’est de se donner des objectifs pour être capable d’analyser son activité. Et ensuite on rentre dans une logique d’amélioration continue avec un plan d’action sur plusieurs années."


Merci Jean-Pierre Moreau, expert en conseils et stratégies agricoles chez Altéor Stratégie, d’avoir répondu à nos questions.